dimanche 5 février 2012

De l'avis général

(Chronique publiée dans le Psikopat n°212 - septembre 2009)


De l’avis général

On a tous une raison de faire du sport, on ne de ne pas en faire, ou un peu, ou occasionnellement, ou par la force des choses. Parler de sport, c’est se placer dans une catégorie, et on n’en manque pas, en sport, de catégories.
A commencer par la plus concernée : les vendeurs d’articles de sport. Et encore, là, il y a deux sous-catégories : ceux qui pratiquent et les jeunes stagiaires. Deux mondes antinomiques bloqués dans une même caverne d’Ali Adidas. Selon que l’on interrogera l’un ou l’autre, on ne sera pas aiguillé dans la même direction, ce qui en matière de pratiques physique peut changer beaucoup de choses. Essayez le tir à l’arc avec une canne à pêche en fibre de verre et moulinet auto-déroulant et vous allez comprendre.

Le professionnel-pratiquant, lui, vous vantera ses produits en prenant exemple sur sa propre expérience. Il a quasiment tout essayé et s’y connaît dans tous les rayons, au point d’employer des termes savants en haussant les épaules afin d’en souligner l’évidence. Il vous vendra le bon produit et vous repartirez tout de même avec le poignant sentiment de n’être qu’un étranger balbutiant sur le bord de la route empruntée avec assurance par les sportifs multi-cartes.
L’autre, le jeune stagiaire, ne voyait pas ça comme ça. Du tout. Il porte des survêts parce que c’est cool et c’est ça qu’il faut porter. Le sport, à part le hand-ball au collège, il n’a pas pratiqué, sauf si on compte les parties de foot avec les sacs des connards pendant l’heure de la bouffe. Si un type veut des baskets, il lui désigne n’importe lesquelles en promettant sur la tête de sa mère que ce sont les meilleures. En vrai, des shooses c’est des shooses, mais le connard qui vient les acheter n’en sait rien. Il en porte jamais.


Il existe également les sportifs-adict, dont l’équilibre entre la raison et le mouvement s’est complètement emballée. Chez eux, tout est sport. Le moindre déplacement peut – et doit – être pensé en terme de rendement sur le corps. Chaque geste est un défi. Monter les escaliers sur la pointe des pieds en faisant travailler les tendons. Allez faire les courses à vélo. Rejoindre l’école en courant pour aller chercher les gamins, qui ont la honte de montrer aux copains un père dégoulinant. Faire la vaisselle avec énergie. Demander à la ronde : « T’en fais, du sport ? Tu fais quoi ? », pour avoir l’occasion d’évoquer en continue ses propres motivations. Il se surveille à répétition devant le miroir afin d’apprécier les résultats de ses efforts. Et il se lance de nouveaux chalenges. Monter douze fois au grenier en portant des cartons de bouquins. Déplacer un tas de grosses pierres en les portant deux par deux. Dormir sur un matelas de briques pour éprouver ses muscles durant la nuit.

Les sportifs-show, eux, sont dans la représentation. Ils ne s’exhibent en amateurs d’exercices que devant du monde. Faire du sport seul, ça n’a aucun intérêt. Plus important encore que les effets à long terme sur la personne c’est l’image renvoyée pendant la pratique qui vaut le plus. Un beau sportif en action, ça épate. On le voit le plus souvent courir, c’est plus glamour que de s’entasser avec les lutteurs de bourrelets dans des salles de gym. En courant, on se fait remarquer. Le sportif-show tourne la tête en synchro avec les détentes de ses cuisses, il scrute au moment des petits bonds, afin de voir si on l’observe. Deux sportifs-show qui se croisent ce sont des rivaux potentiels, qui s’adressent cordialement – et en gonflant un peu le torse – un respectueux salut. C’est tout un art.

A ne pas confondre avec l’extrem-sportif, qui mène, quant à lui, un combat envers ses propres limites. Toujours se dépasser, avoir une vision forcément extravagante d’un but à atteindre, et l’atteindre, en arrachant la victoire dans les larmes et le désespoir. Il prépare ses virées longtemps à l’avance, parfois des mois, des années pour les projets les plus déments. Sa cerise sur le gâteau, c’est l’ascension d’un mont. Plus c’est haut, plus c’est beau. Etre en bas, regarder le mont dans les cieux et lui dire qu’on va le franchir. Ce dompter soi-même pour parvenir à repousser les garde-fous. Cela se fini toujours de deux manières possibles : soit le grimpeur se pète la gueule en jour et cela met un terme brutal à son parcours (et souvent à sa vie) ; soit il se tord la cheville au tout début de l’ascension. Ou sa tendinite se réveille. Ou c’est ce foutu genou qui se déboîte. Celui-là vous racontera tout ce qu’il pourrait faire s’il était encore en forme. Il finira par s’abonner à Pyrénées-Magazine, pour les photos.